Aller au contenu principal

Les origines de la Faculté

1968–1971 : La naissance d’une Faculté

La Faculté de droit de Paris avait, au début des années “ 60 ” connu un phénomène de délocalisation au sein même du Quartier latin. Les études de droit se répartissaient sur deux sites : la place du Panthéon et la rue d’Assas. En 1966 intervint la délocalisation d’une partie des étudiants sur le site de Nanterre déjà occupé, depuis deux ans, par une Faculté des lettres.

Dans l’hiver 67-68, avant les événements de mai 68, pour décongestionner le centre de Paris, le ministère de l’Éducation Nationale se lance à la recherche de terrain vacants pour y établir des centres d’enseignement supérieur : une caserne désaffectée, des locaux de l’OTAN, des terrains encore non bâtis ; ainsi naîtront Dauphine et Vincennes qui, dès l’origine, offrent le profil d’établissements autonomes ; et des antennes à Clignancourt, Villetaneuse, Saint-Maur et Sceaux destinées à accueillir des  étudiants de première et deuxième année.

À Sceaux il existait un terrain vierge qui, sur intervention d’un professeur de droit, adjoint au maire de la commune, avait été réservé pour l’édification d’un IUT, construction qui ne se fit pas. Toujours à Sceaux, résidait aussi le professeur Jean Imbert. Georges Vedel, en fin de mandat de son décanat à la Faculté de droit de Paris charge son assesseur Jean Gaudemet, de prospecter, avec Jean Imbert, les travaux de construction d’un centre juridique qui pourrait se faire sur le terrain non occupé par l’IUT.

Les évènements de mai 1968 n’ont pas seulement conduit à la promulgation, le 12 novembre 1968, d’une loi d’Orientation de l’Enseignement supérieur, dite loi Edgar Faure, qui devait bouleverser les traditions universitaires françaises ; ils débouchèrent sur une réflexion concernant les facultés parisiennes et celles des grandes universités régionales. La masse importante des étudiants, qui ne pouvait que s’accroître dans les années à venir, était considérée comme l’une des causes de la révolte des étudiants. Dans l’entourage du ministre Edgar Faure, nombreux étaient ceux qui recommandaient l’éclatement des facultés et leur regroupement au sein d’universités beaucoup plus structurées. Le morcellement des facultés devait être encore renforcé par la généralisation de la pluridisciplinarité.

Au milieu des troubles du mois de Juin, lors d’une intervention dans un journal télévisé, Jean Imbert annonça que Sceaux allait accueillir dès la prochaine rentrée, des étudiants de premier cycle, dans un cadre propice à un enseignement apaisé, avec des méthodes pédagogiques rénovées. Un cadre où il ferait bon étudier.

De fait, à l’époque, le terrain était rigoureusement vierge. Les travaux débutèrent au début du mois d’août. La première rentrée se déroula à la mi-novembre, alors que le béton achevait tout juste de sécher. Étudiants et enseignants durent gagner l’amphithéâtre en marchand avec précaution sur un caillebotis d’une protection douteuse.

En cette rentrée 1968, le centre de Sceaux, comme ceux de Clignancourt ou de Saint-Mandé est conçu comme un Collège juridique, simple annexe de la Faculté de Paris destinée à soulager son premier cycle. La direction du centre est confiée à Jean Imbert qui, précédemment dirigeait le centre d’Assas. Les affectations des étudiants dans les divers groupes de TD se déroulèrent dans une improvisation contrôlée au mois d’octobre.

Les cours commencèrent au mois de novembre. Ils étaient assurés par des enseignants de la Faculté de droit de Paris. C’est ainsi que des grands maîtres tels Georges Vedel en droit public, Jean Gaudemet en histoire du droit, Pierre Raynaud et Jean Chevallier en droit privé, Paul Coulbois en économie politique et bien d’autres vinrent épauler Jean Imbert dans sa tâche de promotion du nouveau centre. Des maîtres assistants, dont le nom commençait à acquérir une certaine renommée, renforcèrent l’équipe, en particulier Maurice Bourjol, Claude Bontems et Pierre Pactet qui devait devenir l’un des premiers directeurs de l’Unité d’Enseignement et de recherche de Sceaux.

Durant les années 1969-70 deux évènements marquants affectent l’avenir du centre de Sceaux. Le premier se situe au niveau général des Facultés parisiennes ; le second le concerne plus directement.

Déjà, en juillet 1968, lors de la clôture de l’Assemblée paritaire de la Faculté de droit de Paris, Maurice Duverger avait mis en garde les participants du danger que représentait un éclatement des Facultés de droit. Un affaiblissement des Facultés ne pouvait qu’engendrer un affaiblissement de l’enseignement supérieur. Et de fait, l’équipe qui entourait Edgar Faure travail­­lait activement dans ce sens, encouragée par certaines des propositions émises par les étudiants et certains enseignants lors des évènements.

Jusqu’à présent, le système universitaire français reposait sur la hiérarchie suivante. La France était découpée en académies à la tête desquelles était nommé un recteur qui supervisait tous les établissements d’enseignement de la maternelle à la Faculté. Dans chaque académie coexistaient des Facultés qui couvraient les grandes disciplines : juridiques et économiques, littéraires et sociales, scientifiques, médicales et pharmaceutiques. Le regroupement des Facultés d’une même académie formait l’Université, c’est-à-dire une entité dépourvue de structures. L’idée nouvelle était de faire disparaître les facultés beaucoup trop monolithiques et de leur substituer des universités pluridisciplinaires, composées d’Unités d’Enseignement et de Recherche diversifiées. Les traditions du passé devaient faire place à une orientation davantage tournée vers la professionnalisation. Il est vraisemblable qu’une idée plus retorse hantait les cerveaux de l’équipe ministérielle : éviter le retour à la coalition des enseignants et des étudiants qui avait assuré le succès du mouvement de mai 68. Pour ce faire il suffisait de confier la direction des universités à des enseignants assistés de conseils regroupant des représentants des étudiants et des personnels des universités. Absorbés par des tâches auxquelles ils n’étaient pas préparés, confrontés à des publics différenciés par leurs origines diverses nées de la pluridisciplinarité, les enseignants seraient détournés de toute velléité de contestation d’autant plus que cette mesure satisfaisait leur désir d’autonomie. Quant aux étudiants, en leur accordant le contrôle continu des connaissances, ils allaient vite s’engluer dans des activités de course à la notation permettant d’accéder à l’année supérieure, et avec la collaboration inconsciente et innocente des chargés de travaux dirigés, le contrôle continu devait vite se transformer en notation à jet continu.

Pour ce qui est du centre de Sceaux, bien que ne regroupant que quelques centaines d’étudiants, entre six et sept cents environ et n’ayant qu’un corps enseignant restreint dont nombre de membres se partageaient entre Paris et Sceaux (la ligne du RER B reliant la station Luxembourg à celle de Robinson était une aubaine), un esprit de corps ne devait pas tarder à se manifester. Avec l’assentiment du directeur Jean Imbert, plusieurs maîtres de conférence ayant l’appui des étudiants, sollicitèrent d’Alain Barrère, doyen élu à la faculté de Paris au début de 1968, la création d’un conseil d’adminis­tra­tion. Ce dernier n’y était guère favorable, mais finit par donner son accord au début de l’année 1969. Les élections eurent lieu et le conseil, construit sur le modèle d’un conseil d’UER, vit le jour au premier trimestre 1969. Sceaux devint une Unité d’Enseignement et de Recherche dotée d’un statut dérogatoire, l’UER 133.

Les réticences du doyen Barrère s’expliquent par les craintes qui agitaient le corps professoral de la Faculté de Paris. Il appréhendait un éclatement de la Faculté de droit, favorisé par l’existence des antennes délocalisées à la périphérie de Paris et pouvant donner naissance à autant de futures universités.

Un intéressant procès-verbal d’une réunion de la Commission des UER Juridiques et Économiques de la Faculté de droit Paris en date du 17 septembre 1969 témoigne de l’enjeu que constitue le sort de l’antenne scéenne. Quelle place lui attribuer dans les nouveaux conseils ? Les opinions divergent : aucune représentation, aucune présence, selon certains ; un statut d’observateur suggère Maurice Duverger ; ce à quoi le Doyen Barrère, président de la Commission, répond « Dans la mesure où il va y avoir une Commission Orsay, il faut faire très attention ». Certes, les Professeurs de Paris Centre ne s’accordent pas sur le statut à concéder à ce modeste établissement de la périphérie. Mais ils sont unanimes à vouloir parer à toute tentative de séduction de la part de l’Université scientifique d’Orsay. Ce Collège doit rester dans la mouvance de la maison mère. Il importe qu’il demeure avec les juristes et dans le giron de l’ancienne faculté de droit de Paris, même si la loi de 1968 prône la pluridisciplinarité. L’antenne juridique territoriale de Nanterre a été intégrée à l’Université de Nanterre, essentiellement, littéraire. Le choix de la ville de Sceaux, plus proche de l’ancienne faculté doit préserver d’une évolution comparable.

Dans le même temps le ministère, dirigé par Olivier Guichard, mettait en place une commission chargée du découpage des futures universités. Les conclusions de cette commis­sion, qui siégea en 1970, ne pouvaient que conforter les craintes d’Alain Barrère qui, entre-temps, avait cédé ses fonctions à François Luchaire. L’Université Paris XI devait voir le jour le 1er janvier 1971, en même temps que douze autres universités.

En dépit des efforts de Paris centre, à la rentrée universitaire 1971, les jeux sont faits. Les sciences juridiques sont une composante de l’Université Paris XI qui comprend : Orsay, Sceaux, Cachan et, en cours de construction, Kremlin-Bicêtre et Châtenay-Malabry. Les sciences dures ont happé ce qui ne constitue encore à Sceaux que les sciences juridiques et va devenir la « Faculté de Sceaux » avant d’être baptisée « Faculté Jean Monnet » sous le décanat de Jean-Claude Masclet.

Le droit a pris place à Paris XI.  Jean Imbert, toujours directeur du centre juridique de Sceaux, est membre de l’assemblée constitutive de l’université Paris XI ; il sera élu président de la nouvelle université. Il quittera assez vite ces fonctions pour occuper le siège de recteur de l’université de Yaoundé. Philippe Manin lui succèdera comme doyen de la faculté de Sceaux qui n’est encore qu’une faculté de droit.

 

Brigitte Basdevant-Gaudemet, Claude Bontems,
Professeurs émérites, Historiens du Droit